Penser global pour réformer les retraites (3/3 : pour un nouveau système solidaire, souple et clair)
Par son ampleur, le chantier de la préservation et du financement de nos retraites nous donne l’opportunité en même temps qu’il l’exige, de revoir toute l’architecture du système. Il nous faut donc « aller jusqu’au bout de la réforme » pour rendre ce dernier plus solide, plus solidaire, mais aussi plus souple et surtout plus clair, afin que chacun sache à divers stades de sa vie active quelles sont ses possibilités futures pour sa retraite.
16. Un système unifié et plus juste
Cela commence probablement par la fusion de l’ensemble des systèmes de retraite se base et complémentaires dans un ensemble unique, ce qui était d’ailleurs envisagé en 1945 avant que les corporations déjà organisées ne demandent à préserver leurs spécificités. Certains affirmeront que ce n’est pas une nécessité comptable ; je répondrais que c’est une facilité importante pour ceux dont les employeurs ont été multiples (c’est la norme), une obligation morale et une manière d’unir les Français autour d’un projet de réforme ambitieux. Si face à l’effort attendu ou face au simple risque de dégradation des retraites, des inégalités persistaient entre concitoyens, notre société aurait raté une occasion de se ressouder autour de la résolution d’un grand défi.
Unifier, cela veut évidemment dire ôter leurs avantages spécifiques à certains régimes séparés, comme les régimes dits « spéciaux » ou le régime des fonctionnaires d’Etat. Pour ce dernier, cela signifie qu’au lieu de payer directement sur leur budget les pensions de leurs anciens agents, les ministères transféreraient à cette super-caisse de retraite la gestion de ces personnes et y verseraient les cotisations qui, de manière virtuelle mais bel et bien calculée, apparaissent déjà sur les feuilles de paie de leurs actuels employés.
Cela ne peut pas se faire sans aménager une transition, étalée sur 6 à 10 ans, pour modifier progressivement les conditions de calcul des cotisations, des différents droits et des pensions. Cela passe évidemment par une vaste discussion avec les secteurs concernés et d’éventuelles compensations. En effet, ces régimes particuliers ont eu – et pour certains ont toujours – une justification liée aux conditions de travail ou de rémunération au cours de la vie active. Cependant, à titre d’exemple, depuis que la plupart des salariés du privé a vu ses revenus se tasser, les agents publics ne peuvent plus invoquer un retard salarial pour défendre des conditions de retraite plus avantageuses.
Cela veut-il dire qu’il faille « aligner les retraites par le bas » ? Non. Il faut d’abord composer avec les recettes qui auront été trouvées, puis tenter de rehausser les plus basses pensions, et enfin créer un système dans lequel les classes moyennes âgées de demain seront, certes moins bien traitées que les retraités du secteur public d’aujourd’hui, mais un peu mieux que les actuels jeunes retraités du privé.
17. Toutes les phases de la vie méritent retraite
Réformer les retraites, c’est aussi tenir compte du fait que depuis 30 ans, le chômage de masse nous frappe, et que même s’il se réduit à l’avenir, il aura entre temps affecté nombre de carrières. C’est admettre que lorsqu’on a travaillé très tôt il n’est pas exigible d’aller jusqu’à un âge butoir élevé pour s’arrêter. C’est également ne pas pénaliser ceux qui ont changé de parcours, fait de longues études ou les ont reprises pour adapter leur force de travail aux exigences de la société. C’est accepter le fait qu’être sans travail, parent au foyer, travailler à mi-temps ou prendre un congé sabbatique, cela revient certes à ne pas (ou pas assez) cotiser mais c’est aussi du temps qui s’écoule, une manière aussi de « laisser sa place aux autres » quand le marché de l’emploi n’en fait pas pour tout le monde : voilà qui ne mérite pas automatiquement un recul de l’âge du départ en retraite.
C’est pourquoi les pensions pourraient, demain, se calculer non plus par rapport à un âge ou une durée de cotisation, mais sur une « durée de référence » incorporant toutes les phases de la vie. Les périodes travaillées (même à temps partiel), les périodes de chômage, de formation continue « diluée », d’arrêt sabbatique ou de congé parental, compteraient pour leur durée réelle tandis que les périodes de formation initiale après 16 ans, de reprises d’études à plein temps débouchant sur un nouvel emploi, de congé formation seraient comptées pour moitié de leur durée réelle.
Imaginons que cette « durée de référence » soit fixée à 42 ans. Une personne sortie du système scolaire à 16 ans partirait avec une retraite à taux plein à 58 ans. Une personne ayant terminé ses études à 19 ans avec un Bac professionnel en poche, soit 2 années de formation initiale après 16 ans, aurait alors engrangé 1 année de référence et ne devrait « que » 41 années de travail, jusqu’à 62 ans. Le titulaire d’un diplôme Bac+5 obtenu à l’âge de 24 ans disposerait de 3,5 années de référence avant la vie active, laquelle devrait alors durer 38,5 ans jusqu’à 62,5 ans. Les premiers travailleront effectivement plus longtemps – ce qui est déjà le cas aujourd’hui mais avec la certitude maintenue de terminer plus tôt, les derniers travailleront moins longtemps mais seront quand même ceux qui partiront le plus tard en retraite. Cela parait équitable, c’est en tout cas une possible base de travail.
La « contrepartie » de la sécurité apportée par un tel système sur la durée de référence, serait que la pension future dépendrait du revenu d’activité moyen (ou des cotisations moyennes) de l’ensemble de la vie active, chômage ou congés compris. Un tel mécanisme n’est pas forcément moins solidaire que l’actuel régime général, même si celui-ci base ses calculs sur les 25 meilleures années. Pour les conjoints qui d’arrêtent de travailler pour élever des enfants par exemple, il serait moins violent que l’actuelle décote pour années manquantes en fin de carrière. Quatre mesures pourraient d’ailleurs protéger les titulaires de carrières saccadées ou incomplètes :
1°) la libre choix laissé à chacun de compter ses années « creuses » (chômage, congé parental par exemple) soit pour leur durée de référence adossée à un revenu zéro, soit de les compter pour moitié moins de temps sans aucune prise en compte du revenu ou de la cotisation zéro dans la moyenne de la carrière ;
2°) la fixation d’une pension minimum unifiée à un pourcentage élevé du SMIC (si possible 80% contre moins de 65% aujourd’hui) ;
3°) la création d’un taux de remplacement plancher du dernier salaire (si possible autour de 60%) ;
4°) la possibilité d’écrêtement ou de lissage progressif des plus hautes pensions.
Les valeurs-clés de ces 3 derniers curseurs seraient des variables fixées tous les 2 ans par un conseil des retraites composé d’élus politiques, de représentants syndicaux et patronaux, en fonction des tendances observées ainsi que des prévisions de recettes et dépenses futures.
18. La liberté de choix : un impératif humaniste
Aucun débat sur les retraites n’y coupera : vous trouverez toujours des gens qui regrettent d’avoir cessé de travailler, et d’autres qui trouvent leur fin de carrière professionnelle interminable. Réformer le système de retraite ne peut se faire sans davantage tenir compte de cela.
La liberté de la date de départ à la retraite doit donc être laissée à chacun, sans pour autant favoriser trop de maintien en activité au-delà d’un certain âge – ce qui aggraverait le chômage – ni menacer le financement du système. Le système actuel de décote doit évoluer vers un système de bonus-malus : - 4% par année manquante, +2% par année travaillée au-delà de la durée de référence.
19. La super-CNAV offrirait aussi des retraites supplémentaires en comptes notionnels
Le principe de sur-cotisation permettant aux travailleurs à temps partiel d’élever leur salaire de référence à un équivalent temps complet devrait être généralisé, et élargi à ceux qui travaillent réellement à temps complet. Ces versements en sus, déductibles du revenu, seraient transformés en points attribués une fois pour toutes, ce qu’on peut appeler des comptes notionnels, alors que la base du futur régime resterait affectée de mécanismes solidaires.
Que la super-CNAV unifiée gère elle-même de telles sur-cotisations offrirait 3 avantages.
Le premier, abordé dans le 2ème article de cette série, serait d’apporter immédiatement des recettes fraîches à l’ensemble du système, en détournant au profit d’un outil public une fraction de ce qui part actuellement vers les banques et les institutions de prévoyance, sources d’instabilité du monde financier.
Le second serait de conjuguer souplesse (avec plusieurs niveaux de sur-cotisation) et sécurité (choix entre versement en capital et en rente possible à tout moment) pour l’assuré social.
Le troisième est que dans une certaine limite, le senior actif aurait la possibilité de choisir au final entre sa sur-pension ou sa transformation en une réduction de la durée de référence (à coût équivalent pour le système), pour partir plus tôt à la retraite.