Penser global pour réformer les retraites (2/3 : où trouver l’argent ?)
Le débat sur la réforme des retraites s’amorce avec une sorte de certitude non-démontrée, le même axiome que celui par lequel on traite depuis 20 ans toutes les solidarités et tous les services publics : il va falloir faire plus avec moins, réduire les dépenses – déficit oblige – puisqu’il est impensable de trouver des recettes supplémentaires.
Vu l’état de l’emploi des seniors en France, même le recul de l’âge de la retraite n’est pas vu comme un moyen de glaner davantage de cotisations, mais uniquement comme un moyen de réduire les prestations : années de retraite moins nombreuses, pensions revues à la baisse par manque de cotisations en fin de carrière, décotes « volontaires » pour départ à la retraite avant le futur âge légal.
Pourtant, il existe des pistes pour augmenter les recettes du système. Certes, le « miracle des marchés », qui nous valait il y a sept ans encore des gorges chaudes sur la retraite capitalisée, a fait long feu. Pour financer les retraites, le meilleur moyen reste encore de faire appel aux richesses produites sur le moment, lesquelles sont à « répartir ». Dans ce cadre-là, avons-nous tout essayé, tout imaginé, tout repensé ?
8. Pour (bien) régler le problème des retraites, il nous faudra… réguler la mondialisation !
Sauvegarder notre système de retraites sans renoncer à ce qui en fait un progrès, cela passe effectivement par la quête de nouvelles recettes, et pas seulement des "adaptations". C’est cet aspect-là du débat que la Droite ne veut pas entendre, ou qu’elle voudra caricaturer si la Gauche le propose. Et pour cause.
Malgré la crise entamée aux USA fin 2006 et diffusée au monde en 2008-2009, la Droite continue d’accepter telle qu’elle est la mondialisation libérale. Non parce que celle-ci serait un bon système économique : elle sait qu’il est instable, inhumain, qu’il dégrade le milieu naturel, et qu’il ne permet le développement à un endroit que pour le pervertir ou l’atténuer ailleurs. Mais ce que la Droite apprécie, c’est qu’en organisant une compétition économique sans règles à l’échelle de la planète, la globalisation met en concurrence – déloyale et perpétuelle – les systèmes sociaux de chaque pays, et « justifie » l’amaigrissement financier des Etats, des services publics, des instruments de solidarité collective, en un mot permet l’instauration d’une jungle économique au seul profit des gros et très gros revenus.
Dans cette jungle, les salariés des pays du Nord ont déjà perdu en trois décennies près du sixième des fruits de leur travail. Dans cette jungle les individus, les entreprises et les fonds les plus fortunés peuvent du jour au lendemain quitter ou même attaquer – via la monnaie ou le système bancaire – un territoire qui déciderait de les faire contribuer davantage à la protection et à la cohésion sociales. Par conséquent, tout effort que nous voudrions exiger des plus gros portefeuilles pour franchir le cap du papyboom se retournerait contre nos emplois, nos recettes fiscales etc.
Il faut donc se rendre à l’évidence. La mondialisation libérale est aussi l’ennemi de nos retraites, comme elle est celui de nos revenus et de nos emplois. Ce qui est naïf, ce n’est pas de vouloir modifier ce détestable état des choses, c’est de croire encore qu’il est vertueux ou qu'on ne peut que "faire avec". Alors oui, une réforme progressiste des retraites est possible, mais elle le sera davantage si dans les années à venir, la France, l’Europe ou d’autres grandes puissances instaurent une vraie régulation, législative et fiscale, du commerce et des marchés du monde. Il serait alors plus aisé d’agir dans les directions suivantes…
9. La principale clé du financement des retraites futures, c’est l’emploi global
Avant même de lever cette réserve, il faut agir. Avec le plus d’efficacité possible.
Si on relève lourdement les cotisations, les salariés perdront un pouvoir d’achat déjà contraint depuis dix ans, et les patrons de TPE et PME seront étranglés par un coût du travail « avant résultat » réellement trop élevé. En l’état actuel du marché de l’emploi, trop reculer l’âge de la retraite à taux plein serait – entre autres – la porte ouverte à davantage de chômage des jeunes et à un effondrement des pensions dû à des carrières incomplètes. Quant à une baisse des pensions, elle ne peut s’envisager que sur les plus hautes d’entre elles, ce qui reviendrait pour ces dernières à rompre la proportionnalité cotisation-pension. Autant avouer que cette mesure ne fournira pas des milliards, alors qu’elle n’aura que l’apparence de la solidarité : elle frappera sensiblement les catégories moyennes et moyennes-supérieures, qui à la retraite soutiennent fréquemment sur le plan financier leurs enfants victimes du "descenseur social", mais elle ne fera pas grand tort aux vraies grandes fortunes…
Le véritable curseur capable d’agir sur les comptes sociaux, c’est bien évidemment l’emploi. Pas celui des jeunes, des seniors, des femmes, des handicapés ou des minorités visibles, mais l’emploi global ! Quand le chômage diminue, ce sont des cotisations-vieillesse supplémentaires qui rentrent et des cotisations-chômage qui deviennent inutiles donc ré-affectables. Aujourd’hui, avec 16 millions de retraités, et surtout 4 millions de personnes sans vrai emploi stable et non-subventionné sur 28 millions d’actifs, ce sont 24 millions de personnes qui financent la solidarité du quotidien pour 20 millions d’autres, soit un rapport de 1,20. Si le chômage retombait un jour à un million d’individus, 27 millions de Français soutiendraient chaque jour 17 millions d’autres, soit un rapport de 1,58 nettement plus favorable.
10. Besoin d’une révolution hexagonale et continentale de l’impôt… et de la défense
Comment faire ce chemin vers le plein emploi ? C’est là la vraie question. Une révolution fiscale (dans le calcul et dans l’utilisation de l’impôt) est sans doute nécessaire, avec des applications « en échange d’emploi » : hors de question de lâcher 3 milliards d’euros sans contrepartie systématique comme l’a fait le gouvernement Fillon avec la TVA sur la restauration.
Envisageons pour les petites et moyennes entreprises, sous condition d’embauche, un basculement partiel des cotisations (proportionnelles, avant résultat) vers l’impôt (progressif, après résultat) tout en conservant l’affectation des sommes prélevées vers les comptes sociaux. Evaluons enfin l’impact des actuelles baisses de charges sociales sur l’emploi, pour revenir sur les moins utiles et faire compenser intégralement par l‘Etat celles qui doivent persister. Impliquons les collectivités locales dans la consolidation des emplois de services aux personnes et dans l’accès de tous à ces services, en chapeautant par exemple des groupements d’employeurs. Instaurons une vraie « flex-sécurité », un droit concret de tous à la formation continue.
Rendons la fiscalité locale plus juste, rétablissons des taxes sur les grosses successions, et fusionnons la CSG et l’Impôt sur le Revenu dans un impôt universel réellement progressif. Cela redonnera du pouvoir d’achat aux plus modestes, et regonflera d’autant mieux les ressources publiques si dans le même temps on met fin au bouclier sarkozyste et aux niches fiscales improductives. Dotons-nous, avec ou face à l’Europe si elle ne partage pas cette nécessité, de lois qui empêchent l’évasion fiscale vers le « moins-disant » et luttons avec une vigueur jamais vue contre la fraude et l’évasion fiscales, dont on estime que pour la seule France, elles pèsent 40 milliards d’euros chaque année, autrement dit le montant annuel maximum qu’atteindra le « trou des retraites » : CQFD. Une imposition progressive sur les bénéfices non-réinvestis et non-distribués parachèverait cette œuvre fiscale.
Les recettes ainsi retrouvées pourraient avoir 4 vocations : 1°) le remboursement de la dette publique ; 2°) l’abondement du fonds de réserve des retraites créé sous Jospin ; 3°) le financement d’aides ultra-ciblées favorisant l’emploi ; 4°) le financement d’emplois publics qui manquent dans la justice, la santé ou l’éducation, donc des cotisations qui vont avec (qui iront, voir article 3/3).
L’Europe est une seconde clé. Si nous bâtissons rapidement une politique étrangère et de défense commune, la France dégagera des marges considérables dans son budget national. A l’échelle continentale voire à celle d’un groupe plus large, nous pouvons mettre en place cette fameuse taxe sur les flux de capitaux spéculatifs, dite taxe Tobin, laquelle aurait des vertus stabilisatrices appréciables à l’aune de la récente crise financière mondiale. Signons un accord pour en consacrer les deux tiers du produit à des usages « intérieurs » à forte composante en emploi, en progrès écologique et en protection sociale.
Revoyons de fond en comble la politique agricole commune pour donner une priorité à l’agriculture durable et riche en emplois, donc en cotisations. Rendons possible en Europe l’attribution de commandes publiques sur critères salariaux, économiques, sociaux et environnementaux, pour promouvoir un emploi géographiquement proche et bien rémunéré. Régulons à 27 le commerce mondial sur les mêmes critères, évidemment évolutifs : c’est à ce prix que nous retrouverons une partie du tissu industriel qui nous a fui, ses emplois, leurs cotisations, les impôts locaux ou sur les sociétés.
11. Des sur-cotisations aujourd’hui, des sur-pensions quand tout ira mieux
On l’a vu, le problème de financement est pour les 30 ans à venir ; il sera probablement beaucoup moins rude par la suite. C’est pourquoi il existe une autre piste, jamais évoquée. S’ils le veulent, certains jeunes adultes qui entament leur parcours professionnel dès maintenant et jusqu’en 2025 pourraient, dès les premières années de travail, prendre l’engagement de sur-cotiser jusqu’à la retraite, en échange d’une sur-pension garantie. Cela permettrait au système d’engranger des recettes aujourd’hui et demain, durant la période du papy-boom, et de n’avoir à remercier de leurs efforts les auteurs de ces surcotisations « qu’après-demain », au moment où le ratio actifs / retraités sera de nouveau plus favorable, le rendant capable d’assumer les surpensions.
12. Et la « TVA sociale » ?
La « TVA sociale » a fait grand bruit juste après les présidentielle de 2007 et le PS avait alors habilement manœuvré pour retourner ce projet contre le gouvernement entre les deux tours des législatives. La question a-t-elle pour autant été bien présentée, bien programmée, et attaquée avec lucidité ? Pas certain.
Ce qu’on appelle la TVA sociale peut revêtir plusieurs réalités. Il est inutile ici d’évoquer une augmentation de TVA « sèche » destinée à financer la Sécurité Sociale entière ou la seule branche vieillesse. Il s’agirait là d’une TVA « normale », donc fondamentalement injuste, anti-sociale. Parce qu’elle rognerait sérieusement le pouvoir d’achat de tous, elle serait tout à la fois anti-économique.
La seule « TVA sociale » qui vaille le coup d’être étudiée repose sur le constat suivant. Depuis que l’économie s’est mondialisée, nos emplois et nos produits (sur le marché national ou à l’export) sont gênés par le fait que notre protection sociale soit entièrement financée par prélèvement sur les salaires, donc sur le prix de revient. A l’inverse les produits importés (tout comme le travail mécanisé) sont exonérés de toute participation au financement de la Sécu. Le système fonctionne comme des droits de douane inversés ; nous nous tirons ainsi tous les jours une balle dans le pied !
Le coût des cotisations obère notre compétitivité et il est, au bout du compte, déjà payé par le consommateur final des produits et services français, comme tous les impôts payés par les entreprises.
L’idée de la TVA sociale ou plutôt « cotisation sociale sur la consommation » (CSC), c’est de supprimer tout ou partie des cotisations patronales en échange évidemment d’une baisse équivalente du prix hors-taxes de leurs produits ou services, et de les remplacer par un prélèvement sur la consommation, à l’image de la TVA. Concrètement, si un contrôle des prix ultra-rigoureux est respecté, la CSC ne change rien au coût final dans l’hexagone des produits et services « fabriqués » en France. Ceux-ci verraient leur prix HT à l’exportation baisser nettement, et au contraire les produits étrangers verraient leur prix augmenter et participer enfin au financement de la protection sociale… ou perdre de leur compétitivité et favoriser le made in France.
Le fait qu’en Europe la TVA soit élevée dans les pays nordiques très égalitaires est également encourageant. Il y a cependant des bémols sur cette éventuelle CSC ou « TVA sociale ». Premièrement, le contrôle de la baisse du prix HT des produits et services français, élément-clé de la confiance dans cette réforme (souvenons-nous du passage à l’euro), aura un coût qui doit absolument être très inférieur au gain escompté. Deuxièmement, si le prix des produits issus des pays à bas coûts de main-d’œuvre s’élève, la part de notre pouvoir d’achat qui dépend aujourd’hui de ces produits va se réduire.
Qu’en conclure sinon qu’il ne faut ni l’exclure a priori, ni l’appliquer sans sécuriser le consommateur ?
13. Ne surtout pas emprunter ?
Les générations formant actuellement la jeune population active (nées entre 1965 et 1990) ne sont pas responsables du fait que celle des « soixante-huitards », les premiers papy-boomers (nés entre 1943 et 1952) ait été nombreuse et n’ait pas anticipé le problème du financement de ses propres retraites ! Pourquoi faudrait-il que les premières soient les seules à sur-payer pour financer les retraites de la seconde ?
Outre que cette question-constat plaide en faveur d’une quête de recettes sur une assiette bien plus large que les cotisations salariales, elle suggère l’hypothèse de financer une partie des recettes manquantes par l’emprunt. Dans ce cas, il serait théoriquement possible d’étaler le financement sur une très longue durée, et donc de le faire assumer à la fois par les jeunes retraités du présent et par les deux générations suivantes.
Mais il y a trois limites à ce raisonnement. La première : qui va prêter sur 50 ou 60 ans ? L’Etat ou la Sécurité Sociale ont-ils déjà eu une telle pratique et auprès de qui ? La seconde : peut-on, même pour une question d’intérêt général, engager des générations de Français pas encore nés ? La troisième : même si on commence à rembourser dès maintenant un tel emprunt (en réalité fractionné et répété) par l’impôt progressif (ce qui est socialement plus juste que les cotisations), il s’agit d’ajouter une dette supplémentaire abondante et une dette publique déjà colossale. Le pari pris sur l’avenir est gigantesque.
14. Vendre les bijoux de famille, si et seulement si…
Céder son patrimoine est une ineptie quand c’est pour financer des dépenses « habituelles ». C’est un véritable scandale lorsque la baisse d’impôt des plus riches en est l’unique but. Mais n’est-ce pas, pour un ménage, l’ultime moyen pour se sauver d’un étranglement financier lié à l’accumulation de dettes ou de promesses de versements ?
Peut-être faut-il donc envisager, si cela est encore nécessaire après que toutes les autres pistes aient été explorées et utilisées, que l’Etat se défausse d’une partie de ce qu’il possède pour trouver les recettes manquantes. C’est déjà le cas pour des bâtiments et une petite partie de nos réserves d’or. Il reste du capital d’entreprises publiques, dont on ne peut pas dire qu’il ait jusqu’à présent servi à un « management de progrès » (voir Renault ou France Telecom). Pour la Gauche, ces ventes ne devraient pouvoir se faire qu’à une double et incontournable condition.
La première serait que la totalité des cessions effectuées finance le surplus de pensions qui pose problème à notre système pour les 30-35 ans à venir. La seconde, qu’aux sociétés comme EDF, la SNCF ou d’autres soit imposé un cahier des charges strict lié à l’exercice d’un service public ; cahier des charges qui serait voté par le Parlement et ferait place notamment à l’intervention des usagers-citoyens dans des instances consultatives des entreprises, et pour la définition-même des règles à fixer à l’opérateur.
15. Les petits ruisseaux font les grandes rivières : pour une « armada » de solutions
A ce stade de la réflexion, une certitude se fait jour. Pour gagner le combat du financement et de la préservation de notre système de retraites, aucune des solutions évoquées ici ou ailleurs n’est, seule, un levier suffisant. Pour relever le défi sans provoquer de dommages collatéraux, il faut fourbir de nombreuses armes. Mieux vaut utiliser plusieurs sources à petit taux que de bouger lourdement et isolément un seul curseur. Régler le problème des retraites, c’est faire de la politique globalement (logement, emploi, fiscalité, immigration, privatisations, défense, Europe), même si parfois cela peut donner l’impression d’additionner des comptes d’apothicaire.
Prenons seulement deux exemples. Si la TIPP augmentait de 2 centimes par litre d’essence – si possible au moment d’une petite baisse du prix du baril – et que cette fraction devenait impérativement affectée au fonds de réserve des retraites, combien cela rapporterait-il ? Si les cotisations patronales vieillesse (telles quelles ou avant leur transformation en impôt ou en TVA sociale) étaient enfin déplafonnées pour les 80% qui ne le sont pas, permettant ainsi de verser de grosses cotisations pour les gros et très gros salaires, combien cela fournirait-il ?