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5 mai 2010

Nationalité à géométrie variable

Comme chacun sait, une polémique est née il y a deux semaines près de Nantes, quand une conductrice a été sanctionnée pour avoir conduit vêtue d’un niqab. Lorsqu’elle ou son entourage ont souhaité médiatiser l’affaire, le ministre de l’Intérieur a déplacé l’attention sur son époux, l’accusant de polygamie et de fraude aux prestations sociales et demandant à ce qu’il soit déchu de la nationalité française. Revenons un instant sur certains éléments de ce feuilleton que les médias n’ont pas, à mon sens, convenablement traités ou suffisamment soulignés.

Dérapage (in-)contrôlé pour moment (in-)opportun

Que ces faits interviennent en plein débat parlementaire sur le « voile intégral » doit d’abord intriguer. Officiellement il n’est pas reproché à ce mari d’imposer cet accoutrement à sa femme, puisque par définition, la loi en débat n’existe pas encore. Pourtant, lorsqu’il est interrogé, Brice Hortefeux détourne désormais immanquablement le propos sur le droit des femmes. Voilà qui est curieux.

Deuxième point : l’affaire démarre parce que l’épouse aurait conduit sans la visibilité nécessaire du fait de sa tenue. Est-ce le cas ? Quelles que soient les critiques et les interdictions possibles envers cette tenue qui transforme un être en fantôme, peut-on affirmer que le niqab empêche de voir ? Je ne sais pas comment les policiers qui ont arrêté cette jeune femme peuvent l’affirmer. Se sont-ils « mis à sa place », ont-ils revêtu ce voile pour vérifier leurs allégations ? N’ont-ils pas, comme le font les journaux dans leur imprécision grandissante, assimilé le niqab à la burqa, imaginant cette femme avec une grille devant les yeux alors que ce n’était pas le cas ?

Coupable depuis longtemps, accusé maintenant, arrêté jamais ? Ou grosse ficelle ?

Mon sentiment est que dès le commencement, cette affaire sentait le dérapage et l’amalgame à visée politique, un peu comme un résumé de la politique sarkozienne. La question suivante est celle-ci : ce dérapage était-il « contrôlé » ? Voulu, recherché ? Si la discussion est si vite passée de la femme au mari, du niqab aux allocations familiales d’un prétendu polygame, est-ce parce que Brice Hortefeux s’est une fois de plus laissé aller à une réaction raciste ? Ou n’a-t-on pas carrément suivi et fliqué l’épouse pour se farcir l’époux intégriste apparemment connu, et par médias interposés parce que cela venait en soutien du discours gouvernemental ? Supputations, exagération ?

Admettez que ce qui est troublant, c’est que les accusations de la place Beauvau viennent « réagir » à la contravention routière de Madame alors que Monsieur est présenté comme un délinquant identifié dont les actes illégaux seraient démontrés depuis belle lurette. Si on savait tout sur lui et si ce que dit B. Hortefeux est réel et deux fois vérifié, ce qui paraîtrait le minimum pour un ministre dans cette posture accusatrice, pourquoi n’a-t-on pas arrêté cet homme plus tôt ? Aucune réponse convaincante n’est venue de la bouche de l’ami intime du président sur ce point.

Hortefeux à Besson, ou la « république accessoire »

Le reste n’est pas triste non plus. Quand immédiatement, « l’Intérieur » demande à « l’Immigration » de déchoir cet homme de la nationalité française, M. Hortefeux fait comme si Eric Besson avait le pouvoir d’ôter la nationalité, comme s’il s’agissait d’un acte administratif banal. Cette demande, qui n’est rien d’autre qu’un appel du pied extraordinairement limpide aux électeurs d’extrême-droite (les autres demanderaient juste une sanction pénale), est aussi une fantastique négation du droit.

Eric Besson l’a d’ailleurs discrètement et poliment précisé : le pouvoir exécutif ne peut pas prononcer d’aussi graves punitions, c’est évidemment à la Justice de trancher sur la culpabilité et sur la peine. Que le ministre de l’Intérieur l’ait oublié, qu’il ait – un peu comme d’habitude – considéré que « police égale justice » ne semble pas être un calcul de sa part. C’est sa vision des choses : le Droit ne peut être que du côté de l’Etat, la contradiction est inutile. Qu’on le veuille ou non, il y a dans l’association du contenu et de la forme de sa demande une graine de totalitarisme qui fait froid dans le dos. 

D’autant plus froid d’ailleurs qu’on peine à trouver les preuves de ce qu’il avance au sujet de son coupable désigné, M. Hortefeux bafouant plus encore le principe de présomption d’innocence. Le climat devient carrément glaçant quand se confirme comme une évidence que la déchéance de nationalité n’est pas prévue pour les infractions ici évoquées. Pas de justice, pas de preuve, et au final même pas de loi qui permettrait une telle sanction… Qu’importe, s’il faut y mettre les formes, créons une nouvelle loi ! Adaptons cette République décidément rétive. C’est donc ce à quoi s’emploie désormais l’ancien socialiste (atchoum !) Eric Besson, qui a annoncé il y a quelques jours qu’un nouveau texte était en préparation pour compléter les conditions dans lesquelles il serait possible d’ôter la nationalité… et surtout pour combler le vide laissé par la haine et la bêtise réunies.

Enlèverait-on la nationalité à un Français « de souche » ?

Malgré tout cela, le trait le plus scandaleux de ce dossier est ailleurs, et n’a à ma connaissance pas même été effleuré par nos présentateurs de 20 heures et nos grands éditorialistes téléphiles. Il s’agit du caractère réversible de la nationalité. Dédoublons-le sous la forme de deux questions : est-il seulement normal d’envisager de priver quelqu’un de sa nationalité ? Dans l’esprit de nos deux ministres, cela concerne-t-il comme on peut le craindre uniquement ceux qui l’ont acquis après leur naissance ? Ce que soulèvent ces interrogations est lourd de sens.

On peut priver quelqu’un de ses droits civiques, autrement dit d’un fragment de sa citoyenneté, et encore s’agit-il d’une suspension. Le maintien des devoirs civiques, même s’il déséquilibre dans ce cas la portée de la citoyenneté, conserve symboliquement les personnes touchées par une telle décision dans la communauté nationale, dans l’un des rôles mêmes du citoyen. Déchoir quelqu’un de sa nationalité, à défaut d’en avoir une double, exclut sans possibilité assurée d’être ré-inclus. Cela fait de la cible un humain sans terre, un étranger partout dans le monde. La France peut-elle créer des apatrides chaque fois qu’un de ses ressortissants contrevient à la loi ?

Dans cette demande de Brice Hortefeux transpire l’idée d’un « retour en arrière possible » sur les seules nationalités « octroyées », même si de manière effarante personne ne lui a posé la question. Si telle est sa vision, cela signifie qu’une nationalité obtenue en cours de vie vaut moins qu’une nationalité de naissance, que les Français « du sang » sont des Français pour toujours quelles que soient les horreurs qu’ils puissent commettre, tandis que les Français « du sol » auraient à faire preuve d’une droiture exemplaire pour conserver leur « identité nationale » (sic). Sans qu’on n’y prenne suffisamment garde, on est en train de nous inventer une nationalité à 2 vitesses, ou à deux niveaux. Restera à placer le curseur : combien de générations pour ne plus être menacé d’être ramené au pays d’origine ?

Le discours du FN mis en actes : ce gouvernement pilote aussi à l’extrême-droite

Si elle a lieu dans les mois à venir, il faudra regarder cette glissade législative pour ce qu’elle est : une incursion véritable dans le champ de l’extrême-droite de type fasciste ou nazi. Nous en sommes déjà là pour le discours.

Comment le montrer ? C’est simple. Les requêtes du ministère de l’Intérieur ne font pas ici écho au célèbre « la France, on l’aime ou on la quitte » partagé par le candidat Sarkozy, mais plutôt au slogan choc « Etre français, ça s’hérite ou ça se mérite », qui n’a jamais été celui du président de la République. Seul Jean-Marie Le Pen a fait sienne cette phrase, qui distingue non seulement des parcours, mais aussi des efforts. Les Français d’héritage n’ont pas à mériter pour le rester ; les autres si, et constamment.

Nation, ciment et démonstrations irréversibles : vive un nouveau service national !

Il est donc urgent de réagir à ces dérives, pour l’instant verbales et politiques et déjà suffisamment graves. Et de le faire en même temps qu’on précise, qu'on ré-explique la laïcité, et qu’on travaille à son renforcement « dans les cœurs et dans les têtes ».

Au-delà des actes concrets permettant d’y parvenir, un autre acte ayant aussi valeur de symbole pourrait redonner corps à cette nation qu’on cherche actuellement à diviser et à hiérarchiser. Un acte-symbole ayant pour ambition de rencontrer, de brasser, de cimenter ce peuple qu’on voit se fragmenter. Il nous faut réinventer un service national, forcément civique, qui prenne des formes totalement variables mais qui organise des étapes ou les citoyens français des deux sexes se croisent tous. Environnemental, social (à destination des écoliers, des handicapés, des personnes âgées, des plus pauvres, des usagers des services publics), culturel ou militaire, ce nouveau service national pourrait concerner aussi bien les Français de 16-22 ans que les personnes en cours de naturalisation. Les premiers l’effectueraient en 1 à 4 temps selon leurs disponibilités et leur situation familiale, scolaire-universitaire ou professionnelle, les seconds de manière plus fragmentée pour conclure le processus d’acquisition de la nationalité française. Il ne s’agirait pas là de tester un mérite, mais au contraire de mettre de l’égalité et du lien jusqu’au bout entre tous les Français.

Fabrice MAUCCI

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Commentaires
D
Excellent article qui montre bien une évolution inquiétante !
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