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13 novembre 2009

Identité nationale, où es-tu?

A en croire Eric Besson, la France vit en ce moment un « grand débat » sur l’identité nationale. Comme beaucoup de « grands débats » – on nous en annonce à peu près un par an depuis deux décennies – celui-ci souffre de faiblesses multiples.

La notion de « grand débat » si galvaudée

Premièrement, il est apparemment restreint à des cercles institutionnels, associatifs et à un aréopage de notabilités locales, mais ni vous ni moi, aucun français « lambda » ne devrait être interrogé autrement que par sondages pré-orientés ou interviews micro-trottoir. Et pourtant, a fortiori quand on parle de nation, un grand débat n’a de sens que si les discussions percolent et remontent entre la base citoyenne et le sommet de l’Etat.

Deuxièmement, voilà un débat qu’on lance équipé d’un « titre » mais sans « problématique », sans axes, sans hypothèses contradictoires, sans questionnements précis ni pistes de réflexion, sans cadre également. Le gouvernement donne le coup d’envoi, sifflera la fin de la partie, mais personne ne connaît ni les règles du jeu ni les positions de départ des uns et des autres. Le ministre déclare ouvert le grand échange, mais pour l’instant aucun membre de l’exécutif ne laisse entrevoir ce qu’il pense ni ne dit sur quels points on attend des réponses.

Cette méthode permet-elle un débat plus ouvert ? Ou au contraire le laisse-t-elle au point mort ? Le trio Sarkozy-Fillon-Besson n’ose-t-il pas avancer sa propre conception avant que « les Français » (les guillemets s’expliqueront plus loin) ne donnent la leur ? Souhaite-t-il la masquer tant elle est critiquable ou mouler ses « convictions profondes » sur l’état de l’opinion au début 2010 ?

Car c’est là que survient le troisième souci de ce débat, son calendrier. En politique, les périodes « d’éveil citoyen » vont du 15 janvier au 15 juin, et du 20 septembre au 20 novembre : chaque élu sait que durant l’été, la rentrée scolaire et la période des fêtes de fin d’année, il est difficile de sensibiliser, d’impliquer une population au repos ou en effervescence familiale. Ce débat sur l’identité nationale, lancé fin octobre et supposé se terminer le 4 février, sera donc coupé en deux périodes et son temps utile à moitié effacé par cet incontournable timing citoyen.

De là à croire que c’est ce qu’on recherchait… il n’y aurait qu’un oubli : il fallait annoncer trois mois de débat pour être crédible, et surtout, le clore par une grand-messe délivrant la synthèse présidentielle un mois avant les régionales pour tenter d’en tirer un bénéfice électoral. Sinon, pourquoi maintenant ? Avez-vous ressenti dans la société française un besoin d’aborder le thème de l’identité nationale qui soit plus pressant cet automne qu’il y a 6, 12 ou 24 mois ?

Pourquoi est-il urgent de débattre de notre identité nationale ?

De manière ponctuelle mais répétée et effectivement mal clarifiée, la France comme beaucoup d’autres pays est traversée par des questions portant sur la Nation, l’intégration, sa forme de laïcité. Mais en cette fin d’année 2009, malgré l’irruption de la burqa dans l’actualité, on sent les Français davantage soucieux de la crise économique et des enjeux écologiques, voire d’un certain recul démocratique. L’urgence à parler d’identité nationale a une origine plus concentrée : Nicolas Sarkozy sent repartir vers leurs cieux d’origine les sympathisants du Front National, déçus par le manque de résultats sur les questions de sécurité et de l’emploi industriel, ulcérés par le manque d’exemplarité du chef de l’Etat et de ses proches (les affaires Frédéric Mitterrand, celle du prince Jean, suivie désormais de celle du co-prince Pierre).

Par le contexte politique dans lequel il surgit, par sa date de lancement comme par sa date de clôture, ce débat n’est donc rien d’autre pour la droite au pouvoir qu’un appel du pied à l’électorat d’extrême-droite, charmé en 2007 mais peut-être bien de manière seulement temporaire. Les insuffisances relevées plus haut dans l’organisation bâtarde de la consultation s’expliquent alors facilement : passés les effets d’annonce initial et terminal, passées les quelques tribunes et émissions où l’UMP se sera donnée l’occasion de draguer encore les supporters historiques du lepénisme, il n’y aura pas de débat. Ce qu’il est convenu d’appeler un « grand trucage », une « grande manipulation annoncée » se résume à un coup de communication, un de plus.

Et c’est justement pour cela que la Gauche ne doit pas commettre d’erreur stratégique. Oui, le débat sent le soufre. Oui peuvent resurgir à cette occasion des idées nauséabondes et réactionnaires. Oui c’est une opération électoraliste. C’est exactement pour cela qu’il faut aller au-delà de la dénonciation, qui serait contre-productive. Parlons à notre tour d’identité nationale, donnons-en notre lecture, livrons notre définition de la Nation et nos clés pour faire avancer la France. A nous de profiter de ce débat pour le retourner contre ses initiateurs, pour l’emmener dans un sens et sur des valeurs qui ne sont pas nécessairement ce vers quoi Eric Besson veut déboucher. Saisissons cette occasion pour détricoter méthodiquement le tissu de préjugés dans lequel, je le crains, s’enferme une part croissante de nos concitoyens.

Exiger de Sarkozy de dévoiler l’usage du débat

Pour commencer, il faut forcer le gouvernement et le président de la République à « sortir du bois », à expliquer pourquoi ils ont voulu de ce débat, à clarifier son objectif, à dévoiler sa finalité, son utilité concrète. Que tirera-t-on du produit du débat ?

Une opinion présidentielle ? Alors le débat est inutile.

Une vision de la France et une définition des (bons) Français à laquelle nous devrons tous nous conformer et qui nous serait assénée du plus jeune âge au tombeau ? Ce ne serait ni plus ni moins qu’un élément de totalitarisme.

Ce débat va-t-il servir de prétexte à un durcissement du code de la nationalité ? Si c’est le cas va-t-on, par les nouveaux critères exigés pour devenir Français, signifier à certains individus qui le sont déjà qu’ils sont néanmoins « hors cadre » et donc qu’ils sont des Français de seconde zone ? Nous empêcherions alors définitivement l’intégration dans la Nation de ceux qui se vivent eux-mêmes, du fait du regard que porte sur eux une majorité et des conséquences qu’ils en tirent, en périphérie de cette nation. Nous aggraverions les méprises qui fissurent en effet, par endroits, la cohésion nationale.

Enfin, l’identité nationale sera-t-elle présentée comme menacée par l’immigration, avec pour seule réponse de trier cette immigration selon des critères de « compatibilité » avec cette identité ? Ce n’est pas impossible, mais alors si nous devons fermer nos portes à ceux qui sont « différents », exigeons de savoir effectivement ce qu’est notre identité nationale, ce que sont les « menaces » et ce qui justifie cette posture mortifère.

10 questions pour trouver ce qui fait la Nation

Pour éviter qu’il n’ait ces sinistres débouchés, donnons une trame à ce débat.

  1. « Identité » et « Nation » se croisent déjà sur le plan administratif. Les Français disposent d’une « carte nationale d’identité » sur l’en-tête de laquelle c’est la carte qui est nationale, pas l’identité. Néanmoins, n’est-ce pas simplement là un premier élément de définition de notre identité nationale assez aisé à délimiter ? « La France est l’ensemble des femmes et des hommes de nationalité française ». Ouh, quelle trouvaille. Ca semble léger pourtant. Au moment où on nous invite à l’introspection collective, cela ne nous dit pas grand-chose sur nous-mêmes. Certes, nous tenons là la seule lecture officielle et irréversible (ou presque) de ce qu’est un Français, mais il arrive à nos compatriotes de le contester dans les faits : pas plus que leur humanité, la CNI ne suffit à les faire considérer comme les autres les Français blacks ou beurs qui cherchent un emploi, un logement ou veulent entrer en discothèque ! Et puis, si d’aventure il s’agissait de trouver une définition du Français pour l’avenir, à la fois sélective et intégratrice, ce n’est pas valable. Alors continuons.

  1. Etre français veut-il dire être né en France ? Ce n’est à mon sens ni obligatoire ni suffisant. Un enfant né ailleurs (quel que soit cet ailleurs) et qui grandit en France à partir d’un jeune âge, un adulte qui s’y est établi et pense y accomplir sa vie, un retraité qui se sent du crû moins de dix ans après son installation, peuvent selon moi parfaitement être français. A l’opposé, est-ce qu’avoir ouvert pour la première fois les yeux sur la France pour ne plus jamais la revoir peut suffire à être Français ? Faut-il qu’automatiquement un enfant né sur le sol national puisse devenir français ? Cela pose par endroits de graves problèmes comme à Mayotte, où l’existence d’une fracture Nord-Sud en plein archipel comorien peut « fabriquer » rapidement des Français fils et filles du désespoir. Il faut donc aller chercher ailleurs ce qui « légitime », « justifie » qu’on est Français. On sent bien qu’un seul critère ne suffira pas.

  1. Doit-on demain n’être Français que par le « droit du sang », c’est-à-dire par filiation ? On sent que la tentation de la droite est de se rapprocher, par touches successives, de ce modèle, et que le fond du débat est ici, du moins que c’est là qu’il touchera le fond. Cela représenterait en tout cas un gigantesque recul historique que rien ne justifie. Car limiter l’acquisition de la nationalité à ceux dont les parents en bénéficient déjà, c’est une fermeture à double tour, une insulte à ceux qui viennent, nous apportent leur talent, leur énergie, leurs espoirs, vivent avec nous et sentent ensuite l’envie de rester, de participer à l’élaboration de l’avenir de cette collectivité avec laquelle ils font corps tous les jours.

  1. En fait, le « droit du sang » est un paravent bien transparent qu’agitent ceux qui ne trouvent la « substance du Français » que dans l’association idéalisée d’une culture , d’une religion, voire d’un type physique supposés spécifiques et/ou majoritaires mais menacés. Cette vision ethnique ou seulement religieuse de la nation correspond parfois à la réalité du terrain quand le cloisonnement historique, géographique ou sociologique a été long et extrême, quand les affrontements lointains ou récents ont renforcé les cohésions internes et les dissensions réciproques comme entre les « 2 Irlande » ou les « 2 Chypre ». Idem quand les groupes ainsi constitués sont devenus porteurs d’un projet d’émancipation d’une domination. Les nations israélienne, palestinienne, tchétchène, kosovare, se rapprochent de ce modèle par rapport à leur environnement immédiat.

Mais en France comme dans une foule d’autres pays, une telle analyse est inopérante. Ici, avoir une définition ethnique de la nation cache une complète méprise historique, une volonté d’exclusion, une tentation de hiérarchisation qui mène toujours dangereusement à la haine des autres, mais aussi une totale hypocrisie et une colossale méconnaissance des hommes. Combien de petits « ritals » ont-ils été raillés par leurs camarades et leurs parents dans les années 1920, avant d’être inclus et pour certains convertis au racisme anti-arabe sous prétexte de préserver les racines du pays ? Combien de schizophrènes ont-il simultanément, pour un tag à l’auteur invisible détesté l’ensemble des français d’origine maghrébine, et pour un ballon au fond des filets adulé le seul Zinedine Zidane ? Que dire de ceux qui, voyant dans la France une terre chrétienne, se voilent les yeux (un comble) sur la spiritualité de nos compatriotes, y compris blancs de peau et tricolores depuis 4 générations au moins. Un Français sur deux n’a pas de Dieu ou n’y croit qu’à moitié, et le nombre de ceux qui méconnaissent tout des textes sacrés qu’ils ont en commun avec leur voisin donnerait le vertige.

  1. Avons-nous seulement des coutumes communes qui nous soudent de manière absolue et sans exception ? La réponse est clairement non. Dans certains cas, il sera difficile de trouver des évènements ou des éléments de « communion culturelle » qui dépassent une région, une tranche d’âge, un ensemble de fidèles donné. Dans d’autres situations, ces marqueurs identitaires dépasseront le cadre national pour s’avérer « européens » ou « occidentaux » et ne parviendront pas à définir l’appartenance à la France.

N’oublions pas non plus que la « coutume » est une perpétuation d’un rite du passé, et que dans un monde qui évolue vite, nombre de nos compatriotes (et pas seulement par repli ou égoïsme) se détournent de ces traditions, dont le sens leur échappe et qu’ils ont remplacé par d’autres « instants de groupe » d’autres « communions laïques ». L’UMP cherche-t-elle des comportements communs aux Français ? J’en tiens un : manifester ! Trêve de plaisanterie, si j’élargis la notion de coutume à l’ensemble de mes goûts, de mes plaisirs, je risque d’être une combinaison culturelle unique à côté d’autres formules originales, sans « socle commun ». Je peux en effet me sentir et être français en préférant Muse à Johnny Hallyday, les pâtes italiennes au riz camarguais, la dernière Mazda 6 à la Renault Laguna III, l’architecture de Santiago Calatrava à celle de Jean Nouvel, les paroles d’Obama à celles d’Eric Raoult, et ce après avoir vénéré le souriant Greg Lemond et le fascinant Ayrton Senna plutôt que l’antipathique Bernard Hinault et le pleurnichard Alain Prost. Le Tour de France ? J’aimerais le faire, mais dans l’état actuel du cyclisme, surtout ne plus le regarder passer ! Suis-je pour autant en équilibre instable, sur le fil bordier de la communauté nationale ?

La langue, la conscience de l’Histoire, des attachements…

  1. Donc si l’identité française existe, elle se résume bien peu à nos papiers, à notre naissance, à nos origines, à notre faciès, notre religion ou nos coutumes. Pourtant, si on se sent français, c’est qu’on a conscience d’appartenir à un groupe dont l’image et les autres membres renvoient aux contours du pays, un groupe à l’échelle de la France. Ce sentiment d’en être, vient spontanément ou à un instant T selon son parcours personnel, notamment lorsqu’on a en soi un faisceau de références, de repères et de réflexes compris comme identiques à ceux d’une majorité de Français. C’est vague, me direz-vous, car c’est diffus.

Dans la manière de vivre la famille, les loisirs, le travail, l’actualité politique ou les faits divers, de comprendre et respecter la loi, de tisser des liens, de regarder les usages et les paysages, d’utiliser et de financer les services publics, nous ne sommes pas les mêmes, nous n’avons pas tous et sur tout les mêmes pensées, les mêmes gestes ou les mêmes pratiques. Mais dans chacun de ces domaines, la quasi-totalité de ceux qui vivent en France  développent des caractères et des valeurs qui les rapprochent des autres. « Des » choses en commun, jamais tout mais suffisamment pour que naisse ou se ressente l’idée d’en être. Cela se construit dans le temps, par les formes que revêt la vie sur notre territoire, par les relations, dans l’échange. Pour accéder à cet « échange nourricier », qu’on soit jeune enfant, trentenaire migrant d’Afrique ou sexagénaire retraité anglais, il faut maîtriser l’essentiel de la langue française. Avant même de donner accès à une culture plus académique si on le souhaite, ce qui n’est de toute façon pas garanti chez l’ensemble de la population, notre langue donne accès aux autres et ainsi nous façonne, fait de nous un peu plus chaque jour des Français.

  1. La langue n’est bien sûr toujours pas un unique déterminant identitaire puisque nous la partageons, accents et originalités de vocabulaires exceptés, entre autres avec les Wallons, les Romands, le Québec et le val d’Aoste. Pour qu’émerge le sentiment d’être Français, il semble assez indispensable d’être capable de se situer, de se projeter, de mettre en parallèle et de superposer son propre parcours avec l’évolution de notre pays, même si on n’est pas né, même si on n’y a posé le pied sur le tard. La conscience de l’Histoire de la France et de la place de la France dans l’Histoire globale, est donc probablement une clé de l’identité nationale, dès lors qu’on se l’approprie un peu aussi, en imaginant soit les ancêtres, soit les situations, soit encore les combats ou les débats du passé et leurs prolongements actuels. L’histoire « reçue » donne un sens à l’histoire vécue : ce qui est vrai pour un individu qui a besoin de ses racines pour savoir où il va est utile aussi aux sociétés organisées. Je parle ici d’une Histoire saisie, comprise, sédimentée en soi quel qu’en soit le degré de précision factuelle et le canal de transmission : école, télévision, journaux, écoute, discussions, commémorations, témoignages familiaux...

L’apprentissage de l’Histoire, à l’école ou pour des adultes candidats à la naturalisation, est donc un passage important vers l’acquisition de ces repères qui permettent une compréhension mutuelle, l’acceptation de normes sociales, la conscience de participer à un destin commun, et qui tissent donc ce qu’on peut appeler l’identité nationale. Mais qu’on ne s’y trompe pas : il n’y a nullement besoin pour cela de revenir à une histoire mythifiée, glorifiée, revisitée par le pouvoir, bombant le torse quitte à mentir (sur la colonisation, la collaboration d’Etat, « nos ancêtres les Gaulois » etc.). Les programmes scolaires actuels remplissent bien plus intelligemment la tâche que ceux d’antan : le simple fait de les avoir suivis – au long de sa jeunesse ou plus tard mais de manière étalée, réfléchie, structurée – nous place à un degré de connaissance, de figuration, de reconstitution du passé qui nous permet d’expliquer et distinguer l’originalité de la France, et qui jette à sa manière des bases du « vivre ensemble ».

  1. Eric Besson et Nicolas Sarkozy éluderont, ou au contraire en feront des tonnes sur un point essentiel, et (mal-)heureusement in-quantifiable de l’identité nationale : l’attachement à un pays, à ce qu’y sont les paysages, les odeurs, les ambiances, les gens, leur esprit, leur expression, leurs joies, leur système de valeurs, à la manière dont la société est structurée, dont elle vit, à la possibilité pour chacun d’y faire sa place. L’amour du drapeau, la raideur corporelle durant l’hymne national, la « patriotisme » n’en sont pas des expressions uniques ni universelles. Mesurer cette « identité du cœur » en en conservant comme témoignage que la densité et la diversité du réseau relationnel ne suffit pas non plus : ce réseau peut être fragile, limité à une diaspora, replié sur un groupe ethnique si parallèlement, alors qu’on pourrait avoir le sentiment d’être à sa place, « chez soi », une large portion de la population vous renvoie l’impression contraire par son incompréhension ou son rejet. Etre Français, c’est accepter l’autre comme tel aussi, être accepté comme tel par les autres, pour au final s’accepter soi-même comme un Français ! Voilà un schéma qui patine depuis 30 ans, à force d’exiger des uns « de s’intégrer » ou oubliant qu’il faut aussi, dans l’autre sens, « les intégrer ».

La Nation existe : en France, elle est une « communauté de destin »

  1. Le propre de tout être qui se sent des attaches nationales, c’est de vouloir en quelque sorte « que le groupe le rende plus fort, quitte à s’impliquer pour renforcer le groupe », c’est la compréhension d’intérêts communs entre les individus, entre le groupe et soi, le fait d’être prêt à assumer les responsabilités collectives. En un mot, la citoyenneté. Et en France, justement, le mot de nation est né en 1789 au-dessus des très forts particularismes régionaux d’alors pour désigner la masse de ceux qui, autrefois dominés, écrasés, se sont constitués en une source nouvelle et collective de souveraineté. Partis de rien, aussi différents d’une province à l’autre qu’on le serait aujourd’hui entre les Etats de l’Europe, les « Français » de la fin du XVIIIème siècle ont « fait nation » comme on se donne un instrument d’émancipation, pour se bâtir un avenir, dans un cadre que l’histoire des conquêtes et des arrangements dynastiques avaient préalablement délimité pour eux, un royaume, un Etat. Leur « identité nationale » d’alors ? Leur sort politique, économique et social, une « communauté de destin » au sens où il y avait accord tacite pour créer ensemble ce qu’on avait subi ensemble. De quoi, en 2009, élargir encore la nation à l’ensemble des « Français de toit, de langue, d’amis et de cœur ».

Cette « nation politique », qui a le droit d’en tracer des contours restrictifs et définitifs ? Ces 30 à 50% de Français indignes qui s’assoient sur les conquêtes démocratiques de leurs aïeux en s’abstenant d’aller voter ? Ceux-là sont-ils plus ou mieux « Français » que ceux qui vivent sur notre sol depuis des années et n’obtiennent pas bien vite la nationalité qu’ils demandent ?

  1. Force est de reconnaître enfin qu’il y a des individus à l’aise où qu’ils soient, d’autres marginaux partout, et qu’ils ont tous droit à un « port d’attache ». Ils ont même à mes yeux le droit de le choisir parmi ceux dont ils partagent le plus les codes. Voilà qui gênera les tenants de l’identité unique, scotchée aux gènes, mais dans un monde globalisé, dans une humanité brassée, l’identité nationale ressentie par un individu n’est pas toujours une évidence, une émotion, mais parfois un choix, un arbitrage qui relève du rationnel.

Au singulier, l’identité nationale est un leurre, c’est la cohésion nationale qui importe

L’énoncé de ces 10 points, potentiellement constitutifs de l’identité nationale, nous permet-il de dégager un portrait-robot de ce qui fait un Français ? De dire clairement ce qui serait incompatible avec l’identité hexagonale ? Cela est-il seulement possible ? Prenons trois exemples.

L’attachement à la liberté d’expression, à la démocratie, est probablement parmi les traits attribués à notre population, sans d’ailleurs que cela ne lui soit propre. Mais en 2002, au premier tour de l’élection présidentielle, 30% des électeurs inscrits ne se sont pas rendus aux urnes, et 21% ont choisi de voter pour les candidats de mouvements extrêmes dont rien ne garantit qu’ils préserveraient ces acquis.

La laïcité serait quant à elle, au moins dans la manière dont nous la concevons, une exception française ; pour le coup, un caractère typiquement bleu-blanc-rouge. Allez pourtant demander aux Vendéens ce qu’ils en pensent, aux Alsaciens et aux Mosellans de renoncer au régime concordataire qui fait toujours de leurs curés des fonctionnaires d’Etat. Demandez encore aux Français « d’origine catholique » (l’expression vous paraît stupide ? Elle l’est, comme l’est donc la suivante à laquelle nous nous sommes pourtant habitués) comme à ceux « d’origine musulmane » jusqu’où doit aller la laïcité dans le confinement de la religion à la sphère privée ou la République dans le soutien à une égale dignité de la pratique des cultes, et vous verrez la variété des positions ! 

« 89 » est-il au moins un déterminant commun ? Le 14 juillet 1789 est sans doute une référence commune à tous les Français. Mais si vous parlez de « l’esprit de 89 » sans plus de précisions, il arrivera que certains d’entre nous vous disent le soulagement qui était le leur de voir l’Europe de l’Est se libérer du joug soviétique… en 1989 !

Dessiner un profil–type du Français, un « socle » sur lequel se bâtit notre nation, n’est peut-être pas possible ; en tout cas je suis demandeur d’un sondage sur la question. Je pense que cela nous conduirait à énoncer autant d’exceptions que de compatriotes. Nous sommes une nation, mais avant cela des individus, et à ce titre nous avons le droit mais surtout une sévère tendance naturelle à être différents les uns des autres, ce qui rend fragile le concept même d’identité nationale.

Etre français, c’est voir en soi plus d’éléments qu’on identifie comme français que d’éléments jugés étrangers à la France ; et dans chaque cas il s’agit d’une considération personnelle puisqu’il s’agit… d’identité ! La « francité » – à moins que ce ne soit la « francitude » – se ressent plus qu’elle ne se définit. Elle ne risque donc pas de se décréter ! N’en déplaise à quelques-uns, elle est plurielle, subtile, complexe, insaisissable, à géométrie variable, l’essentiel étant de la reconnaître en soi, de la reconnaître et de l’admettre chez l’autre, à sa manière. C’est à cette condition qu’on produit la seule chose qui compte pour continuer de vouloir et pouvoir vivre ensemble : la cohésion nationale.

Vouloir donner un contenu précis à cette identité n’est pas nécessairement dangereux si on prend soin de le présenter comme une vision personnelle. Une « conclusion présidentielle » sur le sujet en février 2010 aura par contre une toute autre portée ; elle sera inévitablement perçue comme une norme, là où justement il n’en émerge aucune.

De l’empilement à la frustration identitaire

L’identité nationale est une fraction de notre identité, une parmi d’autres qui nous structurent toutes. Nous sommes tous, en conscience ou non, dotés de caractères, de goûts, d’attirances qui entrent en résonance d’autres individus, géographiquement proches… ou non. Nous sommes porteurs de contacts, de pensées ou d’intérêts qui nous relient à un groupe, un réseau, et personne n’a exactement le même. Nous sommes attachés à des territoires variés qui nous semblent un peu les nôtres, territoires tantôt emboîtés tantôt disjoints : je me sens « de mon quartier ou de mon village, de ma ville, de ma vallée ou de mon massif, de ma région, de mon pays » sans que le classement que mon cœur opère entre ces échelles et les contours que je donne à ces espaces ne soient nécessairement les mêmes que mes voisins. Chacun de nous vit aussi des identité enchevêtrées sans avoir à refouler l’une d’entre elles : il est possible de se sentir à la fois Français (où l’on vit) et Algérien (le pays d’origine de ses parents).

L’identité nationale s’intercale aussi, si cela me définit mieux, entre mes « identités rationnelles », au sens lui aussi variable selon les individus : je suis de Gauche, je suis hétérosexuel, je me vis comme citoyen de la Terre, je ne crois pas en Dieu mais je comprends et acceptent l’idée que d’autres y croient…

Toutes les combinaisons et toutes les hiérarchies sont donc possibles, et c’est d’ailleurs pour cela qu’aucune identité n’est, en temps normal, prédominante donc obsédante. Elle ne le devient que lorsqu’elle est vécue comme frustrée, empêchée. C’est le cas avec les identités régionales, qui n’auraient pas servi d’abcès de fixation, de cache-sexe à l’égoïsme fiscal des régions riches ni de paravent à l’extrême droite locale si leur expression avait été tolérée plus tôt et plus largement.

Songeons maintenant à la place de l’Islam en France. Ce qui dérange, ce qui suscite le débat tient ici au hidjab, le voile islamique, et à ses versions plus couvrantes que sont le niqab et la burqa. Est-ce l’expression de l’Islam qui nous gêne ici ? Aucunement. La crainte majoritairement partagée, y compris par une partie de nos compatriotes musulman(e)s, c’est que derrière ces vêtements, nullement « exigés » par les textes religieux islamiques, ce soit la liberté des femmes, l’égalité des sexes et la laïcité qui soient remises en cause, et que cela traduise un intégrisme religieux. Le doute est assez peu permis dans le cas de la burqa et du niqab, parce qu’on voit mal une identité s’exprimer librement en en effaçant une autre. Par contre, de nombreuses femmes disent avoir librement fait le choix de mettre un voile « simple ». Si cette manifestation religio-cuturelle cesse là où on demande qu’elle ne s’exprime pas et n’engendre pas de demandes spécifiques perturbant l’organisation sociale, ni l’identité ni les normes nationales ne sont alors en péril.

Qu’en revanche ces manifestations gagnent en fréquence, et que le traditionalisme social le plus obtu revienne en force dans les familles musulmanes, est un signe qui ne trompe pas. Certes, comme pour les catholiques depuis les « années Jean-Paul II », l’identité religieuse redevient structurante pour les musulmans d’abord parce que le retour à la spiritualité et aux racines est vu comme une aide à affronter les peurs liées à un monde mouvant, brutal, et les difficultés économiques et sociales qui en découlent.

Mais ce retour à la religion a pour eux des raisons supplémentaires. Le racisme et les discriminations, qui se sont dramatiquement « libérés » depuis les années 1980, ont conduit à nier de facto la qualité de Français à des jeunes aujourd’hui trentenaires. Ces derniers, et les plus jeunes avec eux, ont malheureusement fini par intégrer cette donne tout en cherchant une identité de substitution. Ils l’ont parfois trouvé dans le quartier, où ceux qu’ils reconnaissent comme leurs « semblables » (sur nos critères physiques et culturels de rejet !) sont parfois majoritaires : ce quartier leur donne alors le pouvoir d’affirmer un « chez eux là où ils vivent ». Ils revendiquent de temps en temps la « patrie » familiale d’origine, mais celle-ci fragmente encore : alors que leur sort leur paraît commun sur le sol français, les fils et filles de marocains, algériens, tunisiens ou turcs ne trouvent pas dans cette diversité-ci l’unité qu’ils recherchent. C’est l’appartenance à l’oumma, à la communauté des croyants de l’Islam, qui finalement les fédère le plus facilement.

La laïcité est-elle « maladroite » ?

Et lorsque pour défendre la laïcité nous brandissons la loi plutôt que la discussion, la réflexion, le savoir et la tolérance, quand cette loi est perçue comme ciblant leur religion, et quand nous ne répondons pas ou mal à leurs propres reproches sur la laïcité, nous renforçons le sentiment victimaire qui est à l’origine de leur « retour à l’Islam ». Le pire est qu’en stimulant ce genre de réflexes, pas problématiques en eux-mêmes, nous les poussons à ouvrir des portes dans lesquelles s’engouffrent les intégristes dont la lecture du monde (Occident versus Islam) entre en écho avec leur vécu, et dont le projet est, lui, d’éclater la nation puis soumettre – au moins pour ce fragment de la nation – le politique au religieux, la société aux règles les plus régressives. « L’Islam par rejet » se transforme en « Islamisme par revanche. Même lorsque la greffe extrémiste ne prend pas totalement, nombre de garçons faisant le tri y puisent la justification de leur machisme, et nombre de filles qui ne se voilaient pas par réaction identitaire le font pour leur échapper un temps.

Il est suicidaire pour la France de continuer de mettre de côté ou de laisser s’éloigner une fraction de la nation. Pour recoller la nation, il sera inefficace de ne procéder que par dénonciation et imprécation sans explication ni implication. Pour raffermir le principe de laïcité, qui ne vaut que par sa victoire dans les faits et non la stabilité de son marbre, il faudra le rediscuter, le re-traduire, le ré-expliquer.

Il sera indispensable de redire que la laïcité est une protection de tous les croyants par le maintien de la religion dans la sphère intime, qu’elle est le seul moyen de respecter ceux qui n’ont pas de dieu. Nous devrons comprendre que certaines manifestations visibles de la religion sont en fait des provocations qui se nourrissent de nos réactions les plus bruyantes.

Pour décrisper la situation et faire de la laïcité une véritable neutralité religieuse, il sera impératif de changer le régime des jours fériés en distinguant les jours nationaux des jours religieux. Mettons fin aussi à l’injustice flagrante qui consiste à pouvoir financer sur fonds publics la restauration d’églises parce qu’elles sont « patrimoine communal » alors qu’aucun denier n’est versé pour sortir les mosquées des caves et les poser dans l’espace public, c’est-à-dire pour assurer « l’égale dignité des cultes ».

Echanger, intégrer, refaire nation autour d’un projet de société

Si le débat sur l’identité nationale est « nécessaire » comme l’assénait Nicolas Sarkozy le 12 novembre dernier, ce ne doit pas être pour interdire, braquer, ou ostraciser davantage. Il doit être une collection de forums citoyens modérés par des élus locaux courageux pour s’écouter, apaiser des malentendus, clarifier des valeurs, démontrer les faux-semblants, tout mettre sur la table. Mieux vaut un débat de « retrouvailles », de « réconciliation », un débat pour se comprendre et s’accepter, un débat pour rapprocher, qu’une mascarade destinée à creuser encore plus le fossé.

Evidemment cela ne serait qu’une première étape. L’urgence absolue est d’appliquer nos principes fondateurs aux faits. Chaque jour, ceux qui se sentent en marge de la nation doivent sentir leur liberté défendue, l’égalité affirmée en leur faveur, la fraternité venir du comportement des autres. A mon sens, le risque d’une discrimination positive institutionnalisée est un rejet supplémentaire qu’on ne peut pas se permettre. Mais si nous nous privons d’un tel outil, nous devons alors faire s’abattre la foudre républicaine sur tous ceux qui discriminent négativement, améliorer la loi et la faire appliquer, tiens, avec la même intransigeance que celle dont Hortefeux et Besson font preuve à l’égard de l’immigration.

Les Français qui s’estiment être en « périphérie culturelle, ethnique et religieuse » doivent recevoir des messages clairs qui leur disent le contraire et les invitent à jouer un rôle de premier plan dans la société, en politique notamment. Alors peut-être la France se nourrira de leur expérience pour apprendre à conjuguer immigration et intégration. Encore faudra-t-il qu’ils ne soient pas, comme tant d’autres ou plus que les autres, des victimes durables de la crise économique et de ses prolongements probables. Ils pourraient alors être la proie d’autres tentations. Encore faudra-t-il que le système scolaire soit réformé dans un sens qui les élève, qui leur profite.

 

Pour moi, la notion de « fierté nationale » est délicate à manier. A priori, je ne suis fier que du positif dont je suis personnellement responsable. Mais on peut être fier d’une construction collective si on y participe pleinement, si ses réalisations sont belles, et si avant cela elle parvient déjà, pour une fois, à fédérer ceux qui ne l’étaient pas autour d’un noble objectif. C’est pour cela que je crois aussi à la capacité de retisser la nation à travers un « projet de société » mobilisateur – que soit dit en passant seule la Gauche peut initier. Renaîtrait alors notre « nation politique », toute tournée vers un nouveau modèle de développement et de comportement géopolitique, vers une nouvelle exemplarité basée sur des « Lumières du XXIème siècle. Vaste entreprise. Etre Français ne se limite pas à aimer la France ou la quitter. Vouloir la changer pour l’aimer davantage c’est encore mieux.

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Commentaires
B
Burqa ou niqab, le débat ne devrait pas se situer à un niveau religieux, mais humain.<br /> <br /> Le regard et le visage tiennent un rôle primordial dans la communication verbale et non-verbale. Ils sont à l'origine de facultés développées chez l'être humain (et autres animaux) qui consistent:<br /> <br /> - à pouvoir découvrir un être dans son environnement<br /> - à être capable d'en connaître ou reconnaître l'identité<br /> - à choisir l'attitude relationnelle à adopter avec cet être<br /> (éventuellement à s'en méfier ou s'en défendre en cas de danger)<br /> <br /> Notons au passage que ces facultés de communication, de reconnaissance et de réaction face à l'environnement, sont déjà présentes chez les nourrissons, quelque soit leur sexe, race et croyance. <br /> <br /> De plus, le refus unilatéral de ces facultés de la part d'une minorité qui dissimule son visage, peut être interprétée comme une négation du genre humain dans ses droits naturels. (découvrir son environnement, le reconnaître, communiquer et assurer son intégrité)<br /> <br /> Personnellement, je ne suis donc opposé à tout vêtement, accessoire vestimentaire, accoutrement (religieux ou pas) porté en permanence en lieux publics, et dont le but et/ou les effets sont de dissimuler l'identité, la physionomie et l'expression du visage vis-à-vis d’autrui. <br /> <br /> <br /> Bertrand<br /> http://www.la-convergence-ethique.org/
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