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20 octobre 2009

Le syndrome du prince Jean

Voir paragraphes mis à jour le 20.10.2009

Depuis 10 jours, la France entière et le microcosme politico-médiatique s'émeuvent de l'arrivée probable de Jean Sarkozy à la tête de l'Etablissement Public d'Aménagement de la Défense. Deux ans et demi après le début d'un mandat présidentiel marqué par la concentration croissante des pouvoirs aux mains du chef de l'Etat, la réaction citoyenne à la promotion de son fils est plus que légitime. Celle de la presse est aussi salutaire que tardive et prudente. Quant à celle de l'opposition nationale, qui affronte ici un népotisme incroyable et indigne de notre démocratie, elle est comme d'habitude maladroite et un brin (allez, deux brins) hypocrite.

Cette fois-ci, les erreurs élyséennes parlent presque toutes seules, sans qu'il y ait besoin de décryptage, de pédagogie politique. Pas besoin de surenchérir, juste montrer les grosses ficelles. La sortie de Fabius toute en ironie sur les [manques de] diplômes du jeune héritier peut certes faire sourire la Gauche. Mais Fabius est un politique, et tout sauf un comique. Du coup l'effet souhaité passe pour de la mesquinerie un peu hautaine venue d'un adversaire, banale et injuste même si elle est au contraire pleinement justifiée dans l'esprit. Quitte à réveiller ceux qui n'ont pas encore pris la mesure de l'énormité politique qui s'annonce, un Didier Porte sur France Inter suffisait largement, avec une efficacité et un talent aussi redoutables qu'habituels.

A la Droite qui crie ridiculement à la discrimination (elle doit être positive ici, M. Chatel !), qui évoque sans rire une "chasse à l'homme" et répond que c'est la jeunesse de Jean Sarkozy qu'on attaque, il faut répondre par des démonstrations d'évidences. Notre "dauphin" dit ne pas profiter ici d'une "nomination" mais s'être fabriqué une légitimité par le suffrage universel, ce qui refermerait en effet tout débat sur ses compétences. Mais c'est raccourcir terriblement la réalité que de la présenter ainsi.

L'onction du peuple, Jean Sarkozy est allé la chercher il y a moins de 2 ans là où c'était le moins difficile pour ses idées, dans un canton qui vote à 80% pour son parti. Dans un tel cas de figure, dans une zone urbaine qui plus est, le principe de victoire assurée dans un camp entrainerait normalement la multiplication des rivalités internes à ce camp. Et bizarrement, alors que partout en France aucun territoire de ce type n'échoit au moins exprimenté des candidats à la candidature, quel que soit le parti concerné, ce jeune homme a été désigné par l'UMP pour emporter la mise. C'est donc dans le parti dirigé pendant 3 ans par son père, devenu entre temps Président de la République, et sur le canton dont ce dernier avait lui-même été l'élu que le sillon initial de Jean Sarkozy a été tracé, pas dans les urnes de Neuilly.

Puis Jean est devenu entre temps le président du groupe UMP au Conseil Général des Hauts-de-Seine. Le suffrage n'y était pas universel, mais restreint aux élus départementaux de son parti. Chef d'un groupe majoritaire qui, avec d'autres individus, dispose déjà de la présidence et de l'exécutif de l'assemblée, ce n'est ni un titre politiquement significatif ni une responsabilité stupéfiante. C'était juste un signal, un signal qui compte.

En effet, à quoi aurait bien rimé cette ronflante attribution, au sein d'une structure dont ce garçon découvrait tout, sinon à faire comprendre le message paternel suivant : "je vous regarde, je suis dans la place, je reste le boss ici aussi" ? La rapidité avec laquelle on a par la suite évoqué la perspective d'une présidence du 92 par Sarkozy junior dès les cantonales de 2011 atteste aussi de cette volonté de contrôle et du forcing qu'elle sous-tend : je lance l'hypothèse en douce ou par le biais d'un affidé, elle fait le tour des médias, elle devient crédible par le simple fait d'être ressassée, les élus de la majorité supposent qu'elle est la volonté du chef suprême et n'osent la contester, quelques-uns y vont même de leurs louanges, personne d'autre n'émerge, l'hypothèse est renforcée.      

Vient alors cette affaire de la présidence de l'EPAD. Jean Sarkozy n'est pas membre de son Conseil d'administration? Qu'à cela ne tienne, un fidèle ami de papa démissionne pour laisser la place vacante, consolé par un siège au Conseil Economique et Social chauffé par papa. Puis suivra normalement une élection triomphale, à la tête d'un organisme qui gère et promeut le plus grand quartier d'affaires d'Europe, avec des moyens mais aussi des défis à relever très importants (territoriaux notamment), sans qu'il n'ait été utile au préalable d'y siéger quelque temps comme simple administrateur pour mieux en cerner le fonctionnement et les dossiers.

Sans ce récent tintamarre, cette élection aurait en tout cas été pliée en un rien de temps puisque les électeurs y sont en majorité des fonctionnaires d'Etat, dont la carrière est pour l'instant entre les mains de leurs ministres de tutelle, autrement dit entre les mains du papa de Jean ! Et ce jeune homme nous parle de "légitimité du suffrage universel"? A ce stade il est clair que lui se moque (déjà !) de nous. Mais que dire de son papa?

Alors que la tempête se déchaine, que le feuilleton mobilise les esprits, ce sont ses ministres à lui, ses soutiens historiques à lui dans le 92 comme les époux Balkany, qui viennent à la rescousse. La cause semble entendue mais voilà qu'en pleine bourrasque politico-familiale, le grand manitou place une phrase-clé dans son discours sur la réforme des lycées : la réussite doit récompenser le travail, l'effort, et non le simple fait d'être né. Aïe ! Sur Canal +, Nicolas Domenach fait semblant (on espère) de décortiquer ce qui n'a pas besoin de l'être, et feint d'y voir une schizophrénie néfaste à Jean Sarkozy : son père l'aiderait à conquérir les gratte-ciel mais le Président le tâcle méchamment par ses propos. Quelle dilemme !

La réalité est pourtant limpide : l'objectif est de faire croire - grossièrement - à un cavalier seul de Jean Sarkozy là où il n'y a que téléguidage et volonté de faire le gros dos en attendant que l'élection soit acquise et que l'affaire se calme. La présidentielle et même les régionales sont loin, on peut se permettre de poursuivre la consolidation de la Sarkozye même à coup de bulldozer. Dans trois mois, les Français auront oublié.

Oublié même les dernières "manoeuvres communicationnelles" en date. Avant-hier, Luc Chatel promettait en effet que les fonctionnaires qui siègent au CA ne prendraient pas part au vote désignant le président de l'EPAD, et ce pour garantir la neutralité (sic) du scrutin. Mais dites donc M. Chatel, lorsqu'on s'abstient dans ce genre de vote, ce n'est pas en général pour cause de conflit d'intérêt? Y aurait-il un conflit d'intérêt entre l'Etat que ces fonctionnaires représentent et l'EPAD ou sa future présidence? Ce serait étonnant, tout de même.

Nous fûmes "rassurés" dès hier lorsqu'après avoir recompté qu'il restait 9 électeurs potentiels, dont 4 de Droite et 4 de Gauche parmi les élus locaux, le bulletin décisif serait celui d'un tout-à-fait-neutre-lui-aussi président de la CCI des Hauts-de-Seine, ancien élu de Neuilly sous la municipalité Nicolas Sarkozy, lequel s'est empressé de rassurer le patron en disant tout le bien qu'il pensait de son rejeton.

Dans cette affaire, il n'a donc nullement été question d'acharnement, d'interdiction "aux fils et aux filles de" de faire de la politique. Si à un quelconque moment, non par son CV mais par des paroles de fond sur l'objet de sa candidature, par un projet personnel visionnaire et brillant, Jean Sarkozy avait étayé sa crédibilité, son ascension aurait été saluée autrement que par un parfum de manipulation. A défaut, la seule chose qu'on ait vue ici c'est la capacité de son père à gouverner par le mensonge, et ce "en direct". Pour la première fois il ne s'est pas agi de renier des promesses de campagne vieilles de 2 ans ou des engagements présidentiels périmés de 6 mois. Il est pris en flagrant délit de bobard et nous trompe de la manière la plus caricaturale qui soit en affirmant défendre la méritocratie tout en propulsant son fils à un poste public de haut vol pour lequel il y a évidemment meilleur candidat.   

Cette dérive, c'est la suite logique de la volonté de Nicolas Sarkozy de voir l'Etat devenir "sa chose" : il vire les préfets, se met en scène sur les médias publics, se substitue à ses ministres, pousse des projets non-concertés et mal ficelés, tripatouille les circonscriptions législatives et veut changer le scrutin régional pour disposer de tous les pouvoirs et le plus longtemps possible. La communication a non seulement remplacé l'action, mais elle lui marche dessus et se retourne contre l'expéditeur. Le message subliminal envoyé aux jeunes diplômés de 2008 et 2009 qui peinent à s'insérer sur le marché du travail, est d'un lamentable : pas de diplome c'est pas grave, mais point de salut sans piston, semble dire l'exemple de Jean.

Terminons par une vérité qui fâche : de tels comportements autoritaires sous des dehors fréquentables, et de telles dérives népotiques, existent ailleurs qu'en banlieue Ouest de Paris, ailleurs qu'à Droite, et ailleurs que sous les auspices présidentiels. La Gauche aussi a ses baronnies, au soleil desquelles il ne fait pas bon être un trentenaire ambitieux et talentueux quand on a pas de réseau, pas de "parrain politique" et qu'on a le même âge que le fils ou la fille du maire ou du conseiller général. Dans bien des sections du PS par exemple, aux militants majoritairement recrutés quand ce n'est pas embauchés par le "patron" local, la comparaison des compétences s'arrête au nom de famille quand il s'agit de désigner les candidats aux fonctions électives. Et même si le flambeau se transmet parfois à des héritiers de valeur, on écarte trop souvent la ou le meilleur(e), quand on ne provoque pas carrément la défaite.

Demain, pour que la Droite et les extrêmes ne réussissent pas de nouveau un hold-up sur des valeurs qui ne sont pas les leurs, la Gauche devra à coup sûr se refaire une "morale" bien visible de tous. Il n'y a qu'à ce prix qu'elle pourra abattre l'immoral sarkozysme.

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