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3 octobre 2009

Démagogues contre pédagogues

Si nous vivions dans une "démocratie directe", une mesure comme celle que vient de prendre l'Académie de Créteil n'aurait probablement jamais existé, aussi démagogique soit-elle. A cours d'idées pour venir à bout de l'absentéisme scolaire, le recteur en charge de l'Est parisien vient en effet de lancer l'expérmentation suivante : "payer" les élèves pour venir au lycée.

Il ne s'agit certes pas de "donner de l'argent de poche aux gamins" comme le rappelle Martin Hirsch qui finance cette ineptie dans le cadre des 165 pistes profitant du Fonds d'expérimentation pour la jeunesse créé en juillet.

Dans 3 lycées professionnels de l'académie en question, le projet consiste à attribuer à 2 classes une cagnotte collective d'un montant maximum de 2000 € toutes les 6 semaines de cours, soit un maximum de 10000€ par an, en fonction (inverse) du taux d'absentéisme. Cette somme, nous dit-on, sera destinée à financer "un voyage scolaire ou un projet d'action éducative" décidé en concertation entre élèves et professeurs.

Cette précision de bon sens suffit-elle à faire de cette mesure une piste intéressante? Franchement pas.

Passé l'effet d'annonce, il est d'abord assez peu probable que la seule idée d'un voyage, somme toute scolaire et donc encadré, suffise à motiver les troupes qui ne le sont pas spontanément par celle de venir en cours. Un projet éducatif autre, nécessitant des déplacements, des visites, des interventions extérieures ou des supports pédagogiques originaux, aura bel et bien besoin de ces ressources mais il les lui faudra "en amont", pour remotiver les élèves, et n'aura pas de pertinence s'il vient comme résultat d'une assiduité retrouvée préalablement. Voilà pour les premiers non-sens.

Allons plus loin. Si contrairement à ce que je crois les éleves adhéraient à ce principe, on irait probablement au devant de gros désagréments. Car ce gadget, même étendu en cas de succès à 67 autres lycées professionnels de la région parisienne, ne le serait donc ni à tous les établissements de France ni à toutes les classes des lycées retenus. Nul doute que cela créerait des rancoeurs profondes. De pressions en violences on imagine assez vite comment pourrait se traduire l'envie de figurer à tout prix dans la classe "dotée" ou la rage de ne pas en être, face à ceux qui auraient la chance de s'y trouver comme face à ceux qui auraient effectué les choix. On pense aussi à la réaction des élèves assidus face à ceux de leur propre classe qui ne le sont pas assez, voyant la cognotte collective se tasser sans en être responsables : resteront-ils calmes ?

Déjà, la simple médiatisation du moment va suffire à faire croire à des milliers d'élèves mal informés mais vite emballés, dans toute la France y compris dans des collèges particulièrement difficiles, que quelque chose leur est dû par leur établissement s'ils viennent et qu'il est temps de réclamer. De l'argent, ou des loisirs sur le temps scolaire, mais en tout cas une "récompense", pour le simple fait d'avoir respecté les devoirs inhérents à leur inscription et la loi sur l'obligation scolaire !

Affabulation? Le lycée professionnel Mistral, à Marseille, a déjà montré la voie. La Provence le révèle : "Dans cet établissement de 600 élèves, la plupart venant des quartiers Nord, formant aux métiers de l'automobile, du secrétariat et de la comptabilité, le proviseur [...] a décidé de récompenser, tous les mois, la classe ayant le taux le plus faible d'absentéisme (et bientôt aussi la classe qui progresse le plus en assiduité), en donnant aux élèves concernés des places pour aller voir l'OM au Vélodrome". Venez, sans nécessairement travailler et réussir, venez seulement et vous irez au stade. Hallucinant.

Naïf, ce genre d'expérimentation s'appuie sur une piètre image des adolescents et sur un colossal renoncement pédagogique. Pour parvenir à cette "solution", ses promoteurs paraissent même ne jamais s'être interrogés sur les causes de l'absentéisme.

Le décrochage et l'échec scolaires précoces, la perte de confiance en soi et en l'avenir, l'absence de repères famliliaux, l'incapacité à se projeter dans le futur, une orientation subie, une dérive vers des activités délictuelles qui rapportent... Parmi ces premiers motifs d'absence, aucun ne trouve dans la cagnotte de Créteil un correctif valable. On oublie ensuite que pour nombre de lycéens "pro" des grandes villes, le temps de l'école est, comme il l'est déjà pour une moitié d'étudiants, dévoré par un travail rémunéré tout à fait officiel et destiné à  faire vivre la famille ! La solution réside ici dans des bourses revalorisées et là, pour le coup, effectivement indexées sur la présence de l'élève car dans ce cas on aidera à (r)établir aussi un dialogue ou un rapport d'autorité entre ces élèves et leurs parents.

Enfin, même s'il est plus difficile encore à relever face à des élèves quasi-adultes ayant connu l'échec scolaire et devenus rétifs à l'apprentissage en classe, le défi premier du lycée, de l'école en général et des établissements affrontant l'absentéisme en particulier, reste d'intéresser ces élèves. Les intéresser aux savoirs et aux compétences qu'on doit leur faire partager, par des exemples et des mises en situation attrayantes mais sans s'abaisser au niveau des futilités qui peuplent leur quotidien. Leur faire toucher du doigt l'utilité concrète de travailler ces savoirs et ces savoir-faire pour leur vie future d'individu libre, d'acteur économique, de citoyen, de responsable de famille. Les aider à se remotiver en leur confiant des projets, en les plaçant en situation de réussite sur des travaux d'abord basiques puis plus complexes, en les accompagnant dans leur orientation et leur connaissance du monde du travail.

En un mot, au lycée et surtout bien avant, de la maternelle (qui y réussit pas mal) au collège (qui s'enlise entre culture générale des uns et lacunes déjà accumulées pour les autres), notre système peine toujours, et de plus en plus. Il fait face à des élèves biberonnés aux écrans ramollisseurs de neurones et élevés dans l'irrespect du prof. Il manque encore d'innovation pédagogique réaliste et sérieuse (en tout cas de partage, de diffusion et d'évaluation des innovations en cours), mais aussi de formation continue des professeurs sur la didactique de leur discipline et le rapport aux élèves. L'information et l'implication des élèves dans leur orientation pêche également. Le soutien individuel est insuffisant, les remises à niveau solides en début de collège ou de lycée impossibles par manque de souplesse sur le rythme de progression des enseignements.

En contradiction totale avec ces besoins bien concrets, mesurables, on supprime chaque année depuis 5 ans 2% des effectifs enseignants. On a tué des IUFM certes pas convaicants mais qu'il fallait plutôt améliorer. On s'apprête à ne plus laisser le temps aux professeurs stagiaires d'apprendre leur métier, et à tout faire pour augmenter le temps en classe de leurs aînés, ce qui aura pour conséquence qu'ils ne "peaufineront plus", ne feront plus du tout de "sur mesure" et ne pourront pas davantage travailler en groupes. On éradique à vitesse grand V les conseillers d'orientation-psychologues, on ôte l'aide individualisée des emplois du temps pour économiser des sous. On efface...

Revenons à notre sujet. Inutile, "à côté de la plaque", cette idée de cagnotte collective est en fait pire encore : elle est avant toute chose profondément immorale, ce qui explique que les protestations viennent de tous les horizons politiques, syndicaux et associatifs. A la limite, peu importe si on apprend demain que cela a quand même un peu marché dans tel ou tel pays, le signal lancé par ce projet est tout simplement désastreux pour la société.

Alors que le lycée prépare (aussi) des citoyens, on s'apprête dans ses murs à inoculer le message que tout effort minime, même pour soi, s'échange contre de l'argent. Est-ce cela défendre la "valeur travail" ou est-ce tout le contraire, mon cher Président?  Faute d'emplois bien payés et de perspectives joyeuses, cherchons-nous à transformer l'école comme le reste en gigantesque casino, dans lequel les élèves devraient pour daigner venir en classe avoir l'espoir de gagner autant que les glandeurs modèles de Secret Story? Ceux qui nous amènent à cela cherchent peut-être à convertir à l'argent-roi des catégories de la société pas totalement converties, mais ils devront en assumer au moins une conséquence : A s'entendre dire  "je veux bien t'écouter si tu paies", il leur faudra bientôt des millions pour remplir leurs meetings politiques... Seul le père Dassault pourra suivre !

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Commentaires
M
Pour remotiver les "troupes", ne faut-il pas tout d'abord ouvrir un dialogue, être à l'écoute et ne vaut-il mieux pas prévenir que guérir ?<br /> Combien d'élèves vont tomber dans le piège croyant<br /> qu'il bénéficieront d'une aide ? Quelle désillusion !!
D
Merci pour ce nouvel article, qui, une fois de plus, par une analyse fine et complète, nous permet de voir plus loin que le bout de notre nez.<br /> <br /> Je te suggère une autre piste que j'ai soulevée lors du dernier café citoyen aixois : que faut-il penser des Téléthons et autres Virades de l'espoir, qui laissent penser que la recherche médicale peut être financée par la charité publique. Je n'ai jamais entendu les hommes politiques s'exprimer de manière critique sur ce sujet. Trop peu porteur électoralement ?<br /> <br /> Bon courage pour continuer.
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